Déconstruire : pourquoi, comment, et jusqu’où ?

Le mot « déconstruction » revient souvent en séance, que ce soit par les patient·es ou de mon initiative. Il circule aussi largement dans les milieux militants, parfois au point de sembler galvaudé, mal compris, ou vidé de sa force. Pourtant, derrière ce mot, il y a un véritable outil de compréhension (et parfois d’émancipation) qu’il est utile d’interroger ensemble.

Déconstruire, c’est quoi ?

Déconstruire, ce n’est pas simplement rejeter, démolir ou critiquer. C’est, avant tout, interroger les normes et les évidences, les étiquettes sociales ou les rôles que l’on croit « naturels », pour en dévoiler les mécanismes de fabrication. Autrement dit, c’est se demander : comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cette norme s’impose-t-elle comme allant de soi ? Qui y gagne ? Qui s’y perd ?

Déconstruire, c’est donc mettre à jour les rouages sociaux et historiques qui produisent certains comportements, valeurs ou attentes, pour ensuite, si cela fait sens pour soi, les contourner, les subvertir… ou les conserver, en toute conscience.

Une norme peut nuire… ou soutenir

Prenons un exemple souvent discuté : le couple exclusif. Il s’agit d’une norme puissante dans nos sociétés occidentales. Elle peut, certes, profiter à des personnes aux comportements nocifs — celles qui, sous couvert d’exclusivité, exercent un contrôle sur leur partenaire, ou empêchent toute remise en question du lien.

Mais cette même norme peut aussi offrir un cadre rassurant, structurant, notamment pour des personnes ayant manqué de stabilité affective. Elle peut permettre de construire un sentiment de sécurité, de confiance, et de réciprocité, vécus comme essentiels.

Autre exemple : le mariage. Longtemps critiqué pour ses aspects patriarcaux, il peut aussi être, dans certains contextes, un outil de justice économique. Dans Le genre du capital, Céline Bessière et Sibylle Gollac montrent comment le mariage permet, dans certains cas, un partage des ressources entre conjoints, et devient ainsi une ressource stratégique pour des femmes dans des rapports de domination économique.

Faut-il tout déconstruire ?

Déconstruire ne signifie pas tout relativiser. Il ne s’agit pas de verser dans le cynisme ou le soupçon permanent, mais de retrouver une marge de liberté face à des normes qui, parfois, nous étouffent.

On peut pousser la réflexion plus loin : imaginons un monde où une valeur comme l’antiracisme est devenue centrale, intégrée, partagée. Serait-il pertinent de « déconstruire l’antiracisme » au motif qu’il s’agit, lui aussi, d’une construction sociale ? Certainement pas, si cette norme contribue à plus de justice, de reconnaissance et d’égalité. Déconstruire n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service du discernement.

En séance : que faire de tout ça ?

En thérapie, la déconstruction peut être un levier précieux : elle permet de comprendre pourquoi certaines attentes nous pèsent, d’où viennent nos conflits intérieurs, et ce qui, dans nos choix, relève de notre désir ou de la pression sociale.

Mais elle ne doit jamais devenir un impératif supplémentaire, une nouvelle injonction à être « déconstruit·e » pour être une « bonne personne ». Déconstruire, c’est pouvoir choisir en conscience, pas suivre une nouvelle norme masquée sous l’apparence de la liberté.

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